SILENCE ! SILENCE !
Une épidémie de variole venait de se déclarer le long du fleuve Congo et menaçait de décimer les travailleurs indigènes dispersés dans la forêt. Déjà un enfant et deux hommes étaient morts. D’autres décès allaient suivre si l’on ne faisait pas immédiatement le nécessaire pour enrayer le fléau. Un inspecteur du Service d’Hygiène fut donc envoyé sur place avec mission de vacciner hommes, femmes et enfants.
Ce fut à la tombée de la nuit, après une marche harassante à travers la jungle marécageuse, qu’il arriva au village touché par la maladie. Là, une déception l’attendait. Le village était presque désert, car les hommes campaient dans des coins lointains de la forêt, là où leur travail les retenait. Aller vers eux ? Il n’y fallait pas songer. Il aurait fallu des jours et des jours pour contacter tous les petits groupes épars et, pendant ce temps, la variole aurait pu faire de nouveaux ravages. Sous les tropiques, la maladie marche plus vite que les hommes.
Une sorte de gardien sacré, vêtu d’une longue robe blanche, était demeuré dans le village. Lui seul pouvait aider l’inspecteur du Service d’Hygiène. Il s’installa derrière le grand tam-tam de la tribu, fait d’un tronc d’arbre évidé, saisit deux nervures de palmier et commença à frapper le gigantesque instrument. Il demanda que, dans les campements de travailleurs, les hommes fassent silence et écoutent le message de l’homme blanc.
« Vous, là-bas, loin dans la forêt, disait le tam-tam, arrêtez vos chansons et vos bavardages. Silence ! Silence ! »
Dans les campements, tous les travailleurs obéirent à la grande voix du tambour, qui continuait :
« Vous devez tous vous mettre en route immédiatement pour le village, afin d’y recevoir la médecine de l’homme blanc. Si vous désobéir, vous tous mourir… »
Longtemps, la phrase se répercute à travers la forêt silencieuse. Pour l’inspecteur, ce n’était qu’une série de sons à peine différents les uns des autres. Pourtant, dès le lendemain à l’aube, les travailleurs affluèrent au village. Tous purent être vaccinés, et l’épidémie fut maîtrisée dans l’œuf. Une fois de plus, le tam-tam avait montré sa toute puissance. Parfois, il peut déchaîner le meurtre et la haine. Cette fois, il avait servi à guérir.